ReporMed Carnets de voyage 457 jours au Maroc, entre paradoxes, surprises et « 7noucha »

457 jours au Maroc, entre paradoxes, surprises et « 7noucha »



Un quad roule sur les roues arrière, sur la Corniche de Casablanca

Arrivé au Maroc pour des retrouvailles de quelques semaines, pensais-je, j’y suis finalement resté plus d’un an.

Après avoir raconté l’absurde issue de cette belle année, il me faut tout de même revenir sur ses moments marquants – et qu’importe si le temps a passé, notamment du fait du trop long piratage de ce site ! D’ailleurs, le temps se disloque et jette des ponts entre ma première année marocaine (2006-2007) et la deuxième.

Le 2 avril 2014

Errance « noroise »

J’ai commencé par retrouver Tanger, la belle perle du Nord. La ville du détroit de Gibraltar était la porte d’entrée parfaite pour retrouver le Maroc, comme en 2006, lorsque jeune et naïf je découvrais ce pays en débarquant au port de Tanger. Mais entre temps, un nouveau port – Tanger-Med – avait été construit, à une quarantaine de kilomètres de « Tanjah », et sans le savoir c’est vers celui-là que j’embarquais, ignorant que mon billet premier prix acheté à la dernière minute à Algeciras était si peu cher justement parce qu’il m’entraînait vers ce port-là, que je pensais alors réservé aux cargos de marchandises. Arrivé à quai, pensant retrouver la ville de Delacroix, Burroughs et Kerouac, accrochée à ses collines et plongeant vers le détroit, je me retrouvais, un peu stupide, face à de monumentales grues portuaires comme autant d’oriflammes à la gloire de la civilisation industrielle. « Mais si c’est bien le port de Tanger-Med », m’assurait ma voisine de traversée, une Marocaine qui ne comprenait pas mon désarroi, et qui, pour bien attester que ce port existait et fonctionnait, rajoutait « d’ailleurs il a été inauguré par le roi et c’est passé à la télévision ! ». Cela, je le savais bien ; mais ma première nuit au Maroc se faisait donc dans un sac de couchage, sur un banc métallique dans la fraîcheur du hall passagers de cette gare, en compagnie d’un couple d’Espagnols désargentés avec qui nous n’avions pas pu négocier de tarif intéressant avec les quelques taxis stationnés là, tandis que le train, au petit matin, nous prendrait gratuitement, nous avait assuré une femme de ménage rencontrée là.
Ironie de l’histoire, le prétexte utilisé par la police pour m’expulser plus d’un an plus tard aura été le fait de vouloir dormir dans le même sac de couchage dans ma voiture de location : « C’est interdit de dormir dans sa voiture ! », m’avaient-ils dit, après avoir intimidé la famille qui avait alors proposé de m’héberger. Sans doute le voyageur s’accroche aux symboles les plus dérisoires pour donner du relief à son récit, pardonnez-moi.

Mais pour retrouver le Maroc, je commençais par passer quelques jours chez mon ami Abdelhak (j’ai décidé de changer tous les prénoms, histoire de parler plus librement sans impliquer qui que ce soit) à Ksar el-kébir, une petite ville à une heure en train dans l’arrière-pays tangérois. Récemment marié à une Marocaine vivant en Belgique, il se préparait à la rejoindre, le temps de finir son année en tant qu’instituteur, une situation qui ne lui a jamais permis de gagner correctement sa vie. Lui qui avait tenté quelque temps de lancer une entreprise de communication événementielle (essentiellement des photos de mariage) en parallèle de son métier (bien que cela soit interdit) avait finalement trouvé une épouse établie en Belgique flamande, mais originaire de Ksar el-kébir. Avec pour point commun d’avoir grandi dans cette ville déshéritée du nord marocain, d’être trentenaires, célibataires et l’intention de construire une famille, leur entourage n’avait plus eu qu’à les mettre en relation et les laisser se connaître à l’occasion d’un ou deux voyages, pour elle au Maroc et pour lui en Europe.

Souvenir de 2006 : alors que je découvrais le Maroc depuis tout juste quelques jours, Abdelhak discourait avec moi sur les femmes : « Tu sais c’est quoi la différence entre une femme marocaine et une française ? La Marocaine quand tu rentres à la maison elle te lave les pieds, tout ça, tandis que la Française elle mais alors jamais ! », riait-il. Un peu gêné par la caricature, je me tournais pour être bien sûr que personne ne me trouvais en flagrant délit de participation à cette causerie viriliste. « Ah donc c’est mieux d’épouser une Marocaine tu dis ? », tentais-je d’enchaîner timidement. « Non ! Avec la Française peut-être elle va te crier dessus, tu devras partager les tâches de la maison, mais au moins elle sera vraiment amoureuse. La Marocaine, elle fera juste son devoir d’épouse », tranchait-il. En fait il sortait à l’époque d’une relation longue avec une Française – « une Bretonne ! », précisait-il, et ne cachait pas sa préférence à retrouver l’amour tel qu’il l’envisageait « à l’européenne », jusqu’à finalement, les années passant, consentir à ce mariage. 

Je retrouvais donc Abdelhak dans sa demeure familiale, où il tentait occasionnellement de tirer profit de sa méthode d’apprentissage du flamand, langue qui ne lui inspirait que des maux de tête, et dans laquelle il tentait à grand peine de prononcer quelques mots basiques. Le visage d’Abdelhak retrouvait le sourire quand il prenait le chemin du café Oslo, où les serveurs saluaient comme il se doit ce grand habitué, qui retrouvait là ses amis pour commenter leur dernier match de football sur le terrain synthétique de la ville. Après son café de début d’après-midi, quand il en avait fini avec sa classe, il partait inévitablement pour une ballade dans les rues de cette ville qu’il connaît par cœur, avant de revenir s’asseoir à sa place laissée réservée, prendre un second café en jouant à Candy Crush puis payer ses deux cafés et finalement repartir.

En revenant à Tanger, je retrouvais mon amie Sara, haut cadre chez Renault. Avec elle, je me retrouvais en plein cœur de la métropole « noroise » comme on dit quelque fois, immergé dans l’animation culturelle de la ville, à la fois riche et suffisamment resserrée pour qu’il soit possible d’en rencontrer facilement tous ses acteurs.

Vue sur Tanger et sa médina

Tanger

Je découvrai notament, dans la vieille kasbah de Tanger, certaines de ses villas réaménagées en loft modernes et spacieux, alors que des cadres et professions intellectuelles réinvestissent cette kasbah longtemps délaissée au sommet d’une médina elle-même comme à l’écart du centre-ville, plus proche du quartier du port et des ombres qui l’habitent, entre les nombreux candidats à l’émigration clandestine à l’affût d’une occasion de se cacher dans un camion vers l’Europe, les innombrables vendeurs de drogue et autres brigands qui, nombreux, peuplent les descriptions du Tanger des années 1940 et 1950 décrit par Mohamed Choukri dans Le pain nu.
Dans ce nouveau Tanger, Sara m’emmenait faire mon initiation au surf sur la plage de « Barsol », à l’extérieur de la ville, grâce aux cours qu’Ahmed donnait à tous ceux qui voulaient bien suivre une séance, pour 150 dirhams. Mais il initiait aussi des jeunes de quartiers défavorisés, que les lois de la sociologie auraient toujours dû garder loin de cette plage et de ce sport élitiste. « Certains ont été conquis par ce sport et ses valeurs, ça les a transformé », s’enthousiasmait Ahmed, qui s’enorgueillissait d’en voir certains disputer désormais des compétitions.

Je rencontrais également Sylvie, une Italienne qui a lancé le centre culturel Tabadoul dans un quartier – relativement – écarté du plein centre, où les spectacles de toute sorte s’enchaînent, y compris les représentations théâtrales, comme celle du metteur en scène Hamza Boulaiz, « Amchouta », que je découvrais alors avec un mélange de fascination et de frustration, faute de ne pas avoir un meilleur niveau en darija, moi-même assis au milieu de la scène de ce café-théâtre avec les autres spectateurs. Mettant en scène une révolte, celle d’une humble cuisinière contre la violence de l’oppression économique et culturelle-symbolique des bourgeois marocains sur les petites gens du peuple, la pièce se voulait subtilement politique, reprenant des codes linguistiques et des références culturelles purement marocaines, comme me l’expliquait Hamza Boulaiz après la représentation.

Entre les ruelles du petit et du grand socco, quand l’animation du centre-ville fatigue le Tangérois, il est toujours possible de s’attabler à cette vénérable institution incontournable qu’est la Cinémathèque, sur la place du 9 avril, en plein centre de la ville. Un vieux classique, ou un film contemporain : chaque jour le cinéphile a le choix, mais il peut toujours se contenter de prendre un thé et éventuellement y rencontrer ceux que ce lieu de rencontre un peu bobo a également su séduire. D’ailleurs, dans son appropriation par les Tangérois, la Cinémathèque fait quelquefois plus figure de lieu de socialisation que de cinéma à proprement parler, et il n’est pas rare d’y recroiser par hasard telle ou telle personne rencontrée à Tabadoul ou ailleurs.
Pour ma part je décidais d’aller voir un film marocain, n’en ayant pas vu depuis longtemps. Tombant sur le film Houdoud wa houdoud-Frontieras, je découvrais, navré, un désopilant exercice de propagande à la maladresse confondante, dans lequel on suivait le voyage initiatique, la révélation mystique presque, d’une réalisatrice espagnole venant enquêter sur le Sahara occidental (enfin, Sahara marocain convient-il de dire au Maroc) et tombant littéralement subjuguée par le charme d’un patriarche sahraoui, membre repenti du Polisario, et par là-même devenue convaincue on-ne-sait-trop-comment de la marocanité du Sahara.

Ne sachant trop s’il fallait rire ou pleurer de ce mauvais plagiat d’Eisenstein, je décidais de repartir le lendemain poursuivre mon apprentissage du surf avec Sara sur la plage de Barsol.

Là, nous découvrîmes sur plusieurs kilomètres un trajet balisé de centaines de militaires, chacun planté comme un piquet tous les 20 ou 100 mètres, notamment en se rapprochant de l’aéroport qui avoisine la plage… c’est en rentrant de la plage quelques heures plus tard que nous le vîmes. Le roi, bien sûr. On l’a même croisé en voiture, à tout juste 100 mètres de l’entrée du palais royal, à l’extérieur des centaines de militaires, policiers et membres du protocole du palais royal en tenue traditionnelle l’attendaient au garde-à-vous. « Quand un conducteur bloque la route, on a l’habitude de lui dire en arabe que c’est pas la route de son père… mais là ça marche pas ! », plaisantait Sara.

Puis, quelques centaines de mètres plus loin, traversant un quartier populaire, ce furent les limousines du cortège royal que nous avons alors croisées, roulant à toute bringue pour rejoindre le palais.

Le lendemain, j’eus même l’occasion de revoir le monarque, alors que la foule amassée le long du boulevard principal était transie de joie. La limousine passait, les phalanges royales dépassant de la fenêtre. Les rues, impeccablement propres, fleuries même pour l’occasion, avaient même bénéficié les jours précédents de remise à neuf des trottoirs, repeints d’un beau rouge écarlate, du moins sur les grands boulevards. Les responsables préfectoraux et municipaux savent qu’à la moindre anicroche, leur carrière peut s’arrêter là tout sec, et en ces occasions les rues pullulent donc d’agents en civil fébriles qui crachent dans leur talkie-walkie les ultimes instructions avant et même après le passage du souverain.

Devant ce spectacle intriguant, avec son incompréhensible lourdeur et son côté infantilisant, la visite royale a de quoi déconcerter le visiteur. Mais ce serait sans doute rester à la surface des choses. Pour bien des citoyens lassés de l’incurie de leurs autorités locales, une visite royale, même si elle a surtout des effets superficiels sur la voirie, témoigne malgré tout du fait qu’ils ne sont pas oubliés du pouvoir central. Et tant pis si le lendemain la rue sera rendue à sa saleté et à son désordre.
L’un des effets les plus déstabilisants d’une visite royale est que la circulation piétonne dans les rues adjacentes du ou des palais royaux de la ville y est alors suspendue. Et ce, même si le roi pose ses quartiers dans une autre de ses villas.
Souvenir de 2006 : marchant pour aller au travail comme chaque matin, je m’étais vu interdire le passage dans la rue qui menait à mon journal d’alors, m’obligeant à un long détour. Passablement énervé et sans doute un peu présomptueux, j’avais bravé le policier en lui demandant s’il était fier de son travail. « Pourquoi, t’en as un à me proposer ? », m’avait-il remis à ma place. Je lui ai avais présenté mes excuses, avant qu’on ne termine sur une franche et sincère poignée de mains. Chaque rouage de la chaîne de commandement applique les instructions à la lettre, fussent-elles exagérées, chacun se rendant bien compte de l’absurdité de l’ensemble, sans doute jusqu’au sommet lui-même. Mais le rituel a ses raisons que tous ignorent, et qu’il serait dangereux à chacun de remettre en cause.

Mai 2014

Redécouverte de Rabat

Avant de ne me précipiter pour le train vers Casablanca, où j’avais déjà passé bien trop de temps les années précédentes, je décidais de passer quelques temps dans sa rivale, la capitale politique, cette petite ville administrative et proprette blottie entre le cours du Bou Regreg et l’océan Atlantique. A Rabat, je trouvais à l’auberge de jeunesse un hébergement bon marché, où les voyageurs de toutes nationalités défilaient : Grecs, Italiens, Japonais, Allemands… et Français.

Ce fut l’occasion d’y vivre une curieuse expérience, lorsque qu’une jeune touriste française s’est approchée, toute timide, de la réception des lieux pour savoir si elle pouvait mettre à charger son téléphone. L’homme à l’accueil ne comprenait pas ce en quoi cette demande pouvait bien sembler si audacieuse, et finit par brancher l’appareil en riant en darija à l’adresse de sa collègue. J’assistais en témoin amusé et fasciné à cette scène, qui me rappelaient que si les standards de l’inconvenant et du sophistiqué varient en fonction des frontières, avoir vécu de chaque côté de celle-ci me plaçaient dans un entre-deux indéfinissable, un bilinguisme de mœurs que je découvrais sans l’avoir vraiment revendiqué ni même pensé.

Flânant dans la médina de Rabat, je découvrais le charme de cet îlot de vie villageoise, rarement oppressante comme dans bien des médinas, au cœur de cette grande ville moderne. Dénichant une minuscule échoppe de cordonnier, à peine plus grande qu’un cabine téléphonique bricolée à l’angle de deux rues, je laissais là mes chaussures de randonnée, déjà éprouvées par le voyage, pour les retrouver une demi-heure plus tard refaites à neuf, pour 5 €. A ce genre de souplesse et de facilités, bien des choses semblent plus simples au Maroc, pensais-je ensuite, appréciant une certaine forme de liberté dont je ne pouvais que soupçonner qu’elle s’était raréfiée par exemple en France.

Porte d'une vieille maison de la médina de Rabat

Rabat, dans sa médina

Dans une ville somme toute propre et moderne, arpentée par un tramway encore quasi-neuf, parfois plus proche des standards d’une métropole européenne que de ceux de bien des villes populaires notamment au Maroc, je découvrais les charmes d’une ville plus reposante – plus ennuyeuse, raillent généralement les Casablancais. Il suffit pour cela d’aller prendre un verre sur le Dhow, ce bateau qui tient de la pagode asiatique égarée sur les rivages du Bou Regreg, ou d’aller courir dans le parc « Hilton », certainement l’un des parcs marocains les mieux entretenus et les plus vastes. En qualité de vie, Rabat semble a priori avoir des atouts à faire valoir, et j’en aurais presque reconsidéré ma préférence assumée pour la belle Tanger.

Marchand ambulant à Rabat

Vendeur ambulant, à Rabat.

Toutefois Rabat aussi a ses quartiers populaires, passé le biais de l’effet capitale en plein centre de cette ville qui, si elle n’était pas le centre politique, serait bien plus modeste. Le long de la mer, je découvrais ainsi un quartier quasi bidonville, caché tout de même depuis la route par un mur, dont les quelques trous permettaient aux habitants de rejoindre le front de mer, ou certains pêchaient les moules et autres fruits de mer, qu’ils préparaient des fois à même la plage, avec une marmite et un feu. Au grand air, bercé par le souffle des vagues et du vent, loin de la pestilence et du vacarme de bien d’autres médinas, de Fès à Casablanca.

Les pêcheurs de moules les cuisent sur la plage

Front de mer, en périphérie de Rabat

Curieux de savoir si je pourrais faire un reportage ou deux avant de reprendre la route, je rencontrais au centre ville Hicham, qu’une amie allemande ayant vécu là-bas m’avait recommandé. Je retrouvais Hicham à l’institut Goethe, dont le bar est l’un des lieu emblématiques de la vie rbatia. Là, discutant du Maroc et de l’actualité, il m’a rapidement orienté vers le sujet des supporteurs de l’équipe des FAR à Rabat. Si la sélection des Forces Armées Royales semble indiquer dès son nom une équipe emblématique du pouvoir en place, en fait ses supporteurs, issus des milieux populaires, sont parmi les plus virulents à chahuter la monarchie, m’expliquait-il.
Le sujet aurait pu me sembler intéressant, si je n’avais également fait quelques jours plus tard la rencontre d’Asmae, une journaliste franco-marocaine qui connaissait Hicham. « Méfie-toi de lui, c’est un 7nech » (mot darija signifiant littéralement « serpent », mais servant à désigner les agent de renseignement infiltrés auprès des militants et journalistes particulièrement ; prononcez le 7 comme un « h » fortement expiré), me racontant comment – selon elle – cet ancien militant, coincé par les 7noucha (pluriel de 7nech), avait dû se rallier à eux, quitte à voler l’ordinateur portable d’un « ami » journaliste. « Apparemment il est encore en service alors, mais fais attention il est là pour piéger les journalistes », m’avertissait-elle.
Ambiance. Impossible de vérifier tout cela évidemment, et de toute façon c’était le moment de quitter Rabat, et son ambiance plus lourde aux journalistes qu’aux touristes de passage.

Retour casablancais

A Casablanca, j’étais hébergé chez Redouane, cousin d’un ami marocain vivant en France. Il vivait à Sidi Moumen, quartier populaire tout au bout de la ligne du tramway – mais déjà le quartier était relié au tramway !

Sidi Moumen : un terrain vague, des ordures et des débris, des bâtiments en construction

Terrain vague à Sidi Moumen

Car le quartier, particulièrement déshérité, et qui reste dans bien des esprits au Maroc comme le quartier d’origine des terroristes des attentats de mai 2003, accueille le visiteur par des débris ornés d’ordures qu’escaladent quelques moutons devant des bâtiments en travaux. Devant le terminus du tramway, un tag s’étire sur une quinzaine de mètres : « le catharsis on le vit » (sic), avec trois énormes logos barrés signifiant l’interdiction du tabac, de l’alcool, et… des femmes.

Chez lui, Redouane n’a pas de frigo ; mais le quartier grouille tellement de marchands ambulants, devant lesquels il passe chaque jour en rentrant de son travail dans un entrepôt frigorifique, que cette absence ne se fait guère ressentir. Autour de son appartement, toutefois, nul commerce ne vient animer la quiétude lourde des lieux ; excepté une épicerie et un atelier de meubles, seules des salles de musculation et d’arts martiaux semblaient pouvoir prospérer dans ce quartier, où j’en dénombrais pas moins de quatre dans un périmètre de quelques 100 mètres alentour à peine.
Le lendemain, je décidais de mettre à profit mon temps libre pour arpenter les rues avoisinantes, au point d’arriver dans le quartier industriel d’Aïn Sebâa. Je parcourais alors une vaste zone industrielle à l’air libre, dont les vastes allées perpendiculaires étaient, en ce dimanche, désolées et mornes, comme les usines qui semblaient abandonnées à leur vétusté, sans que je puisse savoir si c’était là leur état de fonctionnement que le repos dominical faisait passer pour un naufrage définitif, ou bien des épaves d’anciens navires industriels réellement échoués depuis des lustres. Par dessous le tout, un vent glacial se levait alors, charriant avec lui une pluie assassine, ce qui donnait une certaine cohérence aux lieux. Avec mon appareil photo, j’appréciais l’instant ; avec mes vêtements trop légers, je finissais par le fuir pour de bon.

 
Je quittais finalement Redouane et son accueil pour un autre quartier populaire, Bournazil. Là, Hamid, étudiant d’une vingtaine d’années, frère d’un ami marocain vivant à Paris, m’y hébergeait dans sa garçonnière, l’appartement d’une tante finalement partie en France. Le quartier, plus proche du centre – relativement – était animé de nombre de commerçants, qui au bout d’à peine quelques jours connaissaient tous « lgaouri » (l’étranger) venu, une fois n’est sans doute pas coutume, perturber la monotone homogénéité des lieux. Avec son appartement pour lui tout seul, Hamid bénéficiait d’une sorte d’aura magique auprès de la gent féminine. Cette autonomie spatiale lui permettait quelquefois de recevoir des textos pour des rendez-vous galants en vue du soir même. Mais après un ou deux soirs, ce fervent supporter du club casablancais du Raja avait une priorité, alors que son club affrontait l’équipe de Tétouan pour une sorte de finale du championnat. Entouré de ses amis, criant et chantant devant l’écran de télé tout de vert vêtu, en soutien à son équipe, historiquement issue de ces quartiers populaires et périphériques de Casablanca, Hamid en oubliait complètement les textos de la candidate du jour à une nuit d’oubli à Bournazil. D’ailleurs, le Raja, ce soir-là, a perdu le match, offrant le championnat à Tétouan, et Hamid est resté d’humeur renfermée le reste de la soirée.

Me rapprochant encore plus du centre de Casablanca, j’atterrissais ensuite chez Alae, photographe et ami de Sara. Vivant dans le quartier Gauthier, à deux pas du centre culturel américain, Alae m’entraînait dans un autre Casablanca, où les salles de musculation mal équipées laissent la place à des bars furieusement branchés, peuplés d’une faune argentée et alcoolisée, travaillant généralement dans le marketing, la com’, ou le journalisme. C’est ainsi que je rencontrai Hana, community manager dans une agence web. Elle devait bientôt quitter son emploi pour reprendre ses études, dans le web, à Paris. Et pourquoi se réinstaller à Casablanca ? Rapidement mis en relation avec son employeur, je me faisais rapidement proposer de reprendre le poste, qui consistait essentiellement à animer les réseaux sociaux de quelques marques françaises de cosmétiques. Rien d’excitant donc, mais je m’en voulais déjà de laisser le Maroc derrière moi si vite, comme s’il n’était qu’une brève de plus dans ce long périple, alors que j’y avais déjà vécu.
Alors que je considérais l’offre avec un intérêt mitigé, me préparant à enterrer là ma carrière de journaliste, tout autant résigné devant la fatalité professionnelle et attiré par le pays lui-même, je retrouvais par hasard dans un bar du centre-ville, un soir, Simon, un journaliste français travaillant à TelQuel, principal média francophone du pays. « Tiens, essaie de passer à la rédaction lundi, propose quelques piges, on sait jamais », me lança-t-il.

Juin 2014

Engagé comme secrétaire de rédaction à Telquel.ma, qui par chance en cherchait justement un, j’avais trouvé un appartement dans le quartier Bourgogne (attention, il faut prononcer « bourgoune ») en colocation avec Gontrand, un jeune étudiant belge flamand en école de commerce, venu là tuer le temps pendant quelques mois en s’essayant à la vente d’appareils électriques professionnels, « histoire d’avoir une expérience de commercial en Afrique », disait-il. Le plus difficile n’avait pas été de sélectionner les petites annonces, et de visiter les appartements, parfois exagérément somptueux, où finalement il manquait une chambre par rapport à l’annonce. Non, le plus difficile était, une fois les critères immobiliers essentiels réunis, que le propriétaire consente à louer à un (ou des) célibataire-s. A Paris, on me demandait ma feuille de paie, jadis en stage à Jérusalem on m’avait demandé ma religion ; à Casablanca, au diable la confession ou le salaire, tant qu’on vient avec le certificat de mariage, gage de sérénité et de paix sociale pour des voisins guère avares de regards obliques et soucieux de vivre loin des folles soirées des quartiers Gauthier ou Aïn Dieb, qu’ils n’ont que trop connues pour certains durant leur coupable jeunesse.

A peine arrivé, alors qu’il me fallait encore découvrir les rues avoisinantes, je partais à la recherche d’une agence bancaire, pour savoir si je pourrais y établir un compte. Trouvant, au coin de la rue du petit marché de Bourgoun une agence bancaire fermée, je m’y rendais, pour consulter les horaires, et repartir aussitôt après d’où j’étais venu.
Je ne suis retourné à ce croisement que quatre jours plus tard, pour faire mes courses. Je m’arrêtais alors à la charrette d’un marchand ambulant, postée de l’autre côté du même carrefour. « Hé, je vous reconnais ! Vous étiez venu voir la banque… mais aujourd’hui, vous n’avez pas vos lunettes ! », me faisait remarquer le vendeur. Si j’étais sur le coup interloqué par la performance mnémotechnique de ce vendeur ambulant de fruits, ce n’est que plus tard que j’ai réellement compris pourquoi il est de coutume de dire qu’au Maroc, la surveillance policière peut réellement compter sur un important réseau d’indicateurs, parmi lesquels figurent tout d’abord le gardien d’immeuble, puis le gardien des voitures (celui responsable de la portion de trottoir la plus proche de l’appartement tout particulièrement), puis l’épicier le plus proche et finalement les autres commerçants.

Mais l’été passait, rythmé par la nonchalance résultant naturellement de la coïncidence du ramadan et de la coupe du monde de football, qui donnait des airs de vacances à cette grande métropole dans laquelle les aficionados les moins observants des règles religieuses se réfugiaient où dans les grands hôtels de la métropole, où dans des cafés tenus à une certaine discrétion malgré tout.

Rideau partiellement baissé pour un café plein de supporters de football, durant la coupe du monde, en plein ramadan

Coupe du monde de fooball et ramadan, à Casablanca, été 2014

Septembre 2014

A la rentrée universitaire, Gontrand partait, et arrivaient dans l’appartement à la fois Judith, amie journaliste originaire de Bourgogne (celle qui se prononce Bourgogne celle-là), en mal de dépaysement et de reportages, et qui avait trouvé à l’occasion de vacances à Casablanca un emploi dans le groupe TelQuel, et Hicham, Marocain qui revenait d’une bonne décennie passée à l’étranger, entre études et premier boulot, grand habitué des voyages chez l’habitant et jamais très loin de sa guitare, pour travailler à l’incontournable Office Chérifien des Phosphates, entreprise majeure de l’économie nationale.

C’est un trio un tantinet bohème qui se retrouvait donc après son travail respectif débattre pour la énième fois de journalisme, sur fond de Jimmy de Moriarty ou d’Hotel California des Eagles, quand Hicham ne jouait pas lui-même de sa guitare.

Si le quotidien casablancais peut avoir son lot de monotonie, comme tout quotidien d’un employé dans une métropole de quelques millions d’habitants, il suffisait, le week-end, de prendre la poudre d’escampette, comme nous l’avons fait vers la vallée de l’Ourika. En arrivant aux alentours de Setti Fatma, il suffit de garer sa voiture où l’on veut et d’aller grimper sur les contreforts de la vallée escarpée de l’Ourika pour se retrouver sur des paysages aussi rudes qu’élégants, au bas desquels, sous les branches de quelques arbres, des huttes semi-ouvertes accueillent le promeneur avec un tajine et une tasse de thé pour un prix modique, que l’on digère en s’assoupissant sur des tapis de plein air, bercé par le murmure de l’Ourika, qui, en cette fin d’été, a des airs de sympathiques ruisseau.

Paysage de vallée près de Setti Fatma

Dans la vallée de l’Ourika

Quelques semaines plus tard, l’automne en faisait toutefois un dangereux et tumultueux torrent, qui me forçait à m’y résoudre : l’Ourika ne pourrait plus être mon havre de paix avant longtemps ; même l’hiver finit par en chasser la quiétude.

Finalement, par l’entremise de Hicham, nous avons entendu parler de l’ouverture pas trop loin d’un établissement, le Carré français, hybride entre l’hôtel, le bar, la galerie d’expositions ou de séminaires. Tenu par Olivier, un entrepreneur français proche du Front national, avec l’aide de Charles-Edouard, jeune militant exalté du Front, venu s’expatrier quelque temps au Maroc pour calmer ses ardeurs militantes – et aussi parce qu’il « adore les Arabes », jurait-il –, le lieu, succursale casablancaise d’une maison mère établie à Paris (avec la même proximité idéologique), a rapidement tracé son sillon dans la vie casablancaise à force d’inlassable réseautage. On y retrouvait constamment nombre de Marocains et de Français, en train de boire une bière autour du billard ou de la piscine de cette villa cossue du versant résidentiel bourgeois du quartier Bourgogne.

Charles-Edouard, dans sa gouaille et sa folie avait tout de même un côté attachant, apprenant quelques mots d’arabe, découvrant avec émerveillement le mode de vie marocain, celui des quartiers populaires de préférence, quitte à s’en faire une image romancée et à l’aborder avec de gros sabots orientalistes, comme lorsqu’il essayait de grimper dans les « tuk-tuks » (ou triporteurs) en pleine course, le sourire aux lèvres, malgré les froncements de sourcils inquiets des humbles ménagères qui circulaient avec ce moyen de transport parmi les plus économiques. Il suffisait à Judith et à moi-même d’éviter de parler politique en sa présence pour qu’il intègre naturellement la bohème de Bourgoun.
Employé à temps plus que plein mais sans contrat ni rémunération par le Carré français, qui lui offrait simplement le gîte et le couvert, il a malgré tout fini par être remercié, pour que du sang frais venu de France le remplace. Le malheureux est alors reparti à moindre coût vers la France, en prenant le bateau vers l’Espagne, dormant ensuite sur un banc de gare avec des immigrés camerounais, avant de faire du stop jusqu’en son fief d’Angers, où, depuis, il aboie avec vigueur contre l’immigration et ses effets supposés sur la sécurité en France, porté par l’insolente forme du FN. Comme je lui avais prêté mon téléphone de secours, et qu’il a oublié de me le rendre, je peux toutefois en conclure pour ma part qu’au Maroc, la seule fois que j’aurais été volé, cela aura été par un militant frontiste catholique angevin.

Novembre 2014

Le temps d’un week-end, avec la voiture d’Hicham, nous sommes partis prendre l’air de Chefchaouen. Alors que nous arrivions de nuit aux abords de la petite ville de montagne – par ailleurs connue pour être la plaque tournante de la production de cannabis – nous avons, assez logiquement, rencontré un check-point policier. Après avoir demandé à Hicham ses papiers d’identité, le policier a eu comme un blocage. « Et les papiers du véhicule ? », a-t-il finalement pensé à demander. « Dans la boîte à gants », répondit alors Hicham. Défaisant alors ma ceinture de sécurité, pour pouvoir plus facilement me pencher vers la rangement tant convoité, je trouvais et fournissais les précieux papiers. Nouveau désarroi du policier. Silence. « Hey, ton ami là, il n’a pas sa ceinture de sécurité ! », a-t-il finalement repris espoir, en me désignant. « Il vient de l’enlever pour prendre les papiers », lui rappelait Hicham. « Ah oui », admit avec honnêteté et tristesse le policier. Silence.
« Tu veux pas me donner un petit quelque chose, s’il te plaît ? », a finalement demandé le policier. « Non, non merci », a répondu Hicham, en retenant sa stupeur et son rire. Et nous sommes finalement passés. Le racket n’était donc que facultatif.

Vue sur la ville de Chefchaouen

Chefchaouen

Dans un quotidien de plus en plus occupé par le travail, je finissais par en oublier ReporMed – pardonnez-moi ! –, publiant seulement un reportage sur les migrants syriens à Ceuta, réduits à camper en centre ville pour revendiquer leur passage vers l’Espagne européenne, sous le nez des passants et des clients des bars du centre. Mais, toujours, malgré les toiles de tente débraillées et le sort précaire qui, je ne pouvais que remarquer la dignité – c’est le mot qui vient à l’esprit – de ces hommes et femmes qui ont enduré beaucoup mais se plaignent peu.

 

Février 2015

Je prenais un café avec quelques amis dans la médina de Casablanca. Je remarquai au café d’à côté un homme dont le visage me disait quelque chose, sans savoir où j’aurais pu le voir. Il semblait attentif à notre petit groupe. Paranoïa ? Peut-être.

Mars 2015.

Avec les mêmes amis, nous passons un week-end à Tanger. En laissant la place du 9 avril dernière nous, nous remontons une rue dans laquelle je reconnais le même homme, sans le moindre doute possible. Troublant…

Juin 2015

Après bien des mois de travail de bureau, je renouais finalement avec le reportage de terrain et la photographie, dans l’autre enclave espagnole du nord du Maroc, Melilla. Là, adossé contre le grillage du golf qui fait face au CETI, le centre d’accueil des étrangers en situation irrégulière, je trouvais un père de famille syrien en train de remuer les cendres froides de son feu de camp, le visage impassible, mais trahissant une fatigue qu’il s’efforçait de masquer. Là encore, la même sérénité dans l’adversité, la même voix posée. Venu à Melilla par l’Algérie, il avait donc déjà franchi deux frontières, et savait que la route, puis lui, sa femme et leurs trois enfants, serait encore longue, et qu’il n’en maîtrisait guère les conditions. C’est là le genre de tour de la Méditerranée qui inspirent une certaine humilité.

Mon reportage censuré pour Le Desk

Après plusieurs mois sans avoir à trop repenser aux 7noucha, je suis arrivé à Oujda presque serein.
Envoyé par le journal alors en lancement Le Desk pour enquêter sur la construction d’une clôture à la frontière avec l’Algérie, je remarquai tout de même assez vite quelques comportements étranges autour de moi. Alors que je descendais de mon hôtel acheter des cartes postales pour Hicham et Judith, un individu étonnamment curieux voulait tout savoir de moi, de ce que je faisais au Maroc, depuis combien de temps j’y vivais, avec l’entrain déplacé de celui qui retrouve un ami d’enfance. Partant acheter un nouveau téléphone et une carte SIM – pour plus de sûreté – dès mon retour à l’hôtel, un « client » de celui-ci m’abordait, prétextant un problème de téléphone, pour me demander de le bipper… jusqu’à à ce que le gérant de l’hôtel lui propose de l’appeler, ce qui fit tomber à l’eau son stratagème.

Le 1er juillet 2015

Ce petit jeu du chat et de la souris a passé un nouveau pallier quand a commencé la filature par deux voitures de 7noucha avec des plaques d’immatriculation de Rabat.
Du coup, j’ai été leur parler directement. Chose intéressante, les 7noucha eux-même ne sont guère informés. Du moins ceux qui me suivaient ignoraient comment j’étais rentré sur le territoire, à quelle date et par quelle frontière, semblant donc ignorer mon année passée à Casablanca. Ils pensaient visiblement de bonne foi qu’il existait en droit marocain des autorisations de reportage – prétexte habituellement utilisé par les autorités pour stopper le travail d’un journaliste, alors que ce document n’existe pas en droit marocain.
Après 5 heures passées à la gendarmerie d’Oujda sans avoir pourtant commis la moindre infraction, je rentrais chez un ami qui m’avait proposé de l’héberger. Trouvant la voiture des Renseignements généraux garée à quelques mètres de son appartement, j’allais les voir, histoire de parler directement à la bête, et, ainsi, vous proposer directement un entretien avec un 7nech :

Moi : Alors qu’est-ce que c’est que ça ? Je vous demande si là j’ai le droit de prendre une photo, vous me dites oui et les gendarmes m’embarquent… J’ai joué fair play avec vous pourtant !
Le 7nech : ça, ça dépend pas de moi. Et puis vous saviez bien que c’était la frontière.
Moi : Non on était à un kilomètre ou quelque chose comme ça, c’était juste un paysage, et votre collègue m’avait dit OK ! J’étais même plus en zone frontalière !..

Photo de la frontière Maroc - Algérie, plan large de type paysage.

La colline en face est algérienne. Photo supprimée (en vain) par la gendarmerie d’Oujda

Le 7nech : Bah je pense que lorsque la frontière est visible, c’est qu’on est dans la zone frontalière..
Moi : Vous pensez ? Ça dépend de vous ?
Le 7nech : …
Moi : Franchement, il y a une question que j’ai toujours eu envie de vous poser. Pas vous en particulier bien sûr, mais vous qui faites ce travail.
Le 7nech : Oui ?
Moi : Vous aimez votre travail ? Vous êtes réellement fier de ce que vous faites ?
Le 7nech : Oui ! On travaille pour notre pays, on veut qu’il se développe…
Moi : … en empêchant les journalistes de faire leur travail ?
Le 7nech : Des fois ce sont pas vraiment des journalistes, mais ils sont là pour des intérêts hostiles au Maroc, tout ça.
Moi : Pfff… Mais pas moi, c’est facile de vérifier que je suis réellement un journaliste. Vous feriez mieux de suivre les terroristes.
Le 7nech : On les suit aussi.
Moi : Ok, et ça pas de problème. Mais si vous voulez que votre pays se développe comme vous dites, il faut bien aussi que la presse se développe, que l’information soit libre, comme dans les pays démocratiques…
Le 7nech : Bon, la démocratie, franchement… Vous aussi vous faites ces trucs-là en France, regardez par exemple avec ce qui s’est passé pour Strauss-Kahn ! Alors pas la peine de donner des leçons…
Moi : C’est quoi le rapport avec moi ?.. C’est n’importe quoi…
Le 7nech : Si mes chefs me disent qu’il faut vous surveiller, c’est qu’il faut vous surveiller.
Moi : Et vos chefs, ils travaillent pour qui ? Pour l’intérêt de leur pays, ou pour leurs intérêts à eux ?
Le 7nech : Ça…
Sur le silence gêné de mon espion, je tenais ma dérisoire mais réconfortante demi-victoire, sur laquelle je le laissais.
Moi : Bon, je vais aller dormir là maintenant…
Le 7nech : Oui, ben on va bien voir.
Moi : Ah oui. Bon. Bonne soirée quand même.

Je me couchais donc en songeant au rôle insoupçonné de la très probable barbouzerie qui a fait tomber DSK, ainsi qu’à d’autres errements de pays dits démocratiques (traque de Snowden, multiples affaires de Sarkozy, et globalement toutes les affaires de corruption qui ont pu entacher les démocraties dites exemplaires) sur les fragiles transitions dans des pays autoritaires ou semi-autoritaires auxquels on a si longtemps vanté le modèle de bonne gouvernance et d’équilibre des pouvoirs de cet Occident en pleine crise démocratique aujourd’hui.

Le juillet 2015

Je remarquais que les 7noucha – celui-là comme ses collègues – semblaient avoir reçu l’instruction de ne plus me laisser leur parler, ce qui était fort dommage car je comptais au moins me servir d’eux comme d’agents de renseignement touristique, mais ils démarraient leur voiture quand j’approchais la carte à la main.

Je prenais donc la direction de la plage, vers le Nord, mais, invité en route à dormir chez une famille d’agriculteurs, je m’apprêtais du coup à faire une halte à mi-chemin, lorsque six voitures de différents services de sécurité ou de renseignement sont venues intimider ces malheureux paysans. Lorsque je tentais de dormir dans ma voiture de location, en déroulant mon fameux sac de couchage, ce fut la goutte d’eau inadmissible pour le royaume du Maroc, qui, las d’attendre un prétexte légal, m’envoya alors à l’aéroport d’Orly.

1 thought on “457 jours au Maroc, entre paradoxes, surprises et « 7noucha »”

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